Quand les hommes parlent : 5 questions fréquentes en séance
Beaucoup d’hommes ont appris à taire leur souffrance derrière des rôles virils qui les empêchent d’accéder à une parole authentique... Lorsqu’ils acceptent cette mise à nu, ils découvrent un espace inédit de transformation où la puissance ne réside plus dans le contrôle.
Ils arrivent souvent tard. Pas toujours à l’heure, mais surtout tard dans leur vie. Et quand enfin ils parlent, certaines questions reviennent. Des questions qui disent l’attente, le doute, la pression, le silence transmis. En voici cinq, entendues souvent, jamais anodines.
- Pourquoi je n’arrive pas à dire ce que je ressens, même ici ?
C’est une phrase souvent dite avec une forme de tension, de frustration, parfois de honte. Le patient est assis là, dans un espace où il sait qu’il “peut tout dire” — et pourtant, les mots ne viennent pas. Beaucoup d’hommes ont grandi dans un monde où les émotions n’étaient pas un langage à habiter, mais un problème à gérer. On leur a appris à faire, à tenir, à contrôler, à réussir. Rarement à dire. Encore moins à ressentir. Ce silence intérieur n’est pas un vide. C’est une pièce verrouillée, parfois depuis l’enfance. Une zone de soi que l’on n’a jamais vraiment visitée, ou qu’on a appris à contourner. Le mutisme émotionnel n’est pas un refus de parler, mais souvent un oubli de soi, une coupure ancienne entre le vécu affectif et la parole. En analyse, ce silence est un point de départ. Il ne s’agit pas de le forcer, mais de l’approcher. Se frayer un passage. Mettre des mots sur ce qu’on n’a jamais eu le droit d’éprouver, c’est commencer à reprendre possession de soi.
- Est-ce que je suis faible de venir ici ?
Cette question n’est presque jamais formulée directement, mais elle se glisse entre les lignes, parfois avec une pointe d’ironie. Comme si le simple fait de consulter, de parler de soi, de demander de l’aide, venait fissurer un socle identitaire masculin. Dans l’imaginaire traditionnel, se montrer vulnérable revient à perdre la face. L’émotion est suspecte, la parole intime perçue comme une faiblesse, le besoin de soutien vécu comme un aveu d’échec. La force est censée se taire, tenir bon, ne rien laisser paraître. Mais la vérité est tout autre : la faiblesse n’est pas de venir ici. Elle est de continuer à s’enfoncer en silence, à maintenir l’armure, à faire semblant, à chercher à étouffer ce qui demande à s’exprimer. Parler, demander à être entendu, c’est prendre ses responsabilités, c’est commencer à considérer ce qui vit au fond de soi, même si cela fait peur. Oser soi. Là est la puissance. Une force qui ne dépend plus de l’image qu’on donne, mais de celle que l’on gagne à être vrai.
- Est-ce que je suis un mauvais père ?
Cette question surgit souvent après un conflit, un moment de distance, une parole qui dépasse, une absence prolongée. Elle vient bousculer l’image du père idéal, encore largement façonnée par celle d’un homme protecteur, stable, toujours juste, toujours disponible — un repère inébranlable. Mais être père, ce n’est pas incarner un idéal. C’est se confronter à sa propre humanité face à celle d’un enfant. C’est reconnaître ses limites, ses failles, ses imperfections. C’est parfois rater, dire trop, dire mal, ne pas être là comme on l’aurait voulu. Un “mauvais père”, cette question, il ne se la pose pas. Il s’installe dans le déni, la fuite ou la toute-puissance. Celui qui s’interroge, lui, est déjà en mouvement, vivant — et c’est précisément là que se loge le cœur du lien paternel.
- Pourquoi je me sens seul alors que je suis entouré ?
C’est une question à la fois douce et tragique. Elle vient dire que, famille, amis, collègues… tout semble en place, en apparence. La vie sociale est active, les rôles sont tenus, les échanges ont lieu. Et pourtant, quelque part, le cœur reste vide. Une solitude sourde persiste — non pas liée à l’absence des autres, mais à l’absence de soi dans le lien. Ce sentiment d’isolement au milieu des autres est souvent le signe d’un désinvestissement affectif profond, parfois très ancien. Il peut témoigner d’une manière d’être au monde façonnée par l’adaptation, la maîtrise, la réussite — mais dans laquelle l’élan du lien, le mouvement émotionnel, la vibration intérieure n’ont jamais pu trouver pleinement leur place. Être entouré n’est pas difficile. Mais être en relation suppose autre chose : une capacité à ressentir, à se laisser affecter, à se sentir exister dans la relation. Or l’affect ne passe pas par l’extérieur, il se passe à l’intérieur. Ce qui manque, ce n’est pas forcément la présence des autres, mais la résonance intérieure. Si vivre se fait avec les autres, exister commence en soi. Et lorsque ce lien à soi est distendu, flou ou rompu, la solitude devient structurelle, même en pleine foule. L’analyse offre justement un espace où se réinstalle progressivement un rapport vivant à soi-même. Ce n’est qu’à partir de là que les liens avec les autres peuvent devenir vrais. Non pas comblants, mais habités.
- J’ai tout fait comme il fallait, alors pourquoi je me sens mal ?
C’est une question qui revient souvent chez les hommes ayant “réussi” : carrière en place, famille construite, vie stable, apparences tenues. Et pourtant, un malaise demeure. Une forme de vide, une perte de goût, parfois une lassitude existentielle difficile à nommer. Cette question indique un basculement possible. Elle marque le moment où l’homme cesse de se définir uniquement à travers ce qu’il accomplit, pour commencer à interroger ce qu’il ressent, ce qu’il désire, ce qu’il veut vraiment vivre. Car on peut tout faire “comme il faut” et pourtant se sentir profondément étranger à sa propre vie. On peut réussir sans jamais être véritablement à l’écoute de soi. Faire ce qui est bon pour soi, se faire du bien, ce n’est pas forcément faire “bien” ni faire ce qu’on attend. En analyse, cette question devient un véritable point de départ. Ce n’est plus le personnage social qui parle, mais l’homme derrière le rôle, celui qui ne se demande plus ce qu’il doit faire, mais qui il choisit d’être.

Généralement, quand un homme prend la parole en séance, ce n’est pas pour se confier, c’est pour sortir de l’impasse. En prenant conscience de ce qui agit en lui, malgré lui, quelque chose se déplace et lui permet, peu à peu, de (re)prendre toute sa place dans sa propre vie.